JOFROI, L'HISTOIRE ET LE DESTIN DE L'HUMAIN
26 juillet 2024, festival Bonjour les humains, Cabiac
Par Michel Kemper, Nos enchanteurs
Photo ©Ghislain Debailleul
Je ne sais d’où je tiens que le poète a toujours raison, qu’il voit plus haut que l’horizon, toujours est-il que Jofroi en est à l’évidence la personnification. C’est un poète inquiet qui vient de faire son tour de chant, en pleine nature, dans son oliveraie. Inquiet de ce que fait l’Homme, de ce qu’en conséquence il devient, de comment il se nuit, de d’où viennent ses idées noires, ses votes bruns. Nous sommes en un lieu, inouï, improbable mais réel, dans les Cévennes, dans l’essentiel.
Au même moment, peu importe l’horreur du bilan carbone, la ville qui se dit capitale frime à la face du monde par sa cérémonie d’ouverture des JO. Cabiac en est, ce soir-là, la parfaite antithèse. S’il pleut chez les fastueux, à des centaines de bornes de là, le temps est radieux pour les amateurs d’art. Et les moustiques dare-dare.
« J’ai semé six amandes dans mon pré » chante Jofroi en s’inquiétant du devenir de ses semis : « Le monde d’après, c’est pour quand ? / Que va-t-il se passer si on attend demain ? » La tête en jachère et les cheveux en broussaille, le poète se fait comptable d’un monde cassé, d’une nature chamboulée qui nous font perdre nos repères. Oserais-je dire que l’effroi prête à Jofroi de magnifiques vers, parmi ses plus beaux… « J’aimerais habiter la Terre / Elle doit être hospitalière » si toutefois nous sommes « en situation régulière ». Ce souci de l’environnement, cette empathie pour l’Homme, ce sens et ce devoir de l’accueil (rien qu’à le dire « J’en vois qui froncent les sourcils »), ne sont pas étrangers au chanteur : il n’a jamais vraiment chanté que cela.
Les pépites de Jofroi à Cabiac 2024, Photo ©Ghislain Debailleul
A réécouter ce Si ce n’était manque d’amour, vieux d’un demi-siècle, c’était déjà les mêmes préoccupations. A la manière d’un René Dumont, qu’il évoque avec affection, il était lui aussi en avance, sa poésie était prémonition. Oui, le poète à toujours raison. Ces chansons tiennent tant de la poésie, de la restitution que de la fable, parfois de la supplique. Et d’une indicible peur qui a grandi d’année en année : la politesse des vers n’atténue rien, ne pardonne plus. Que répondre quand il clame « Mais où vont les humains qu’on reconduit aux frontières ? » La chanson n’en a pas la réponse.
Nous avons jadis connu Jofroi en diverses formations. Là, comme si le lieu l’exigeait, c’est retour à l’épure d’un solo guitare même si, pour un titre, Line Adam lui a concocté la bande-son d’une symphonie où chacun des animaux décline son langage : une chanson pleine comme l’arche de Noé, ample comme la richesse, le foisonnement des espèces, quand l’Homme ne le salope pas. Jofroi redevient ainsi simple troubadour, baladin : rien ne vient troubler la sérénité de son chant, si ce n’est quelques trous d’air ou de mémoire qui attestent mieux encore de la fragilité, la préciosité du moment. Devant le public nombreux, ses amis, il anticipe d’une chanson inédite, Merci Québec, la prochaine grande aventure de son parcours : un proche départ pour le pays de Félix Leclerc et de Gilles Vigneault où un grand projet discographique se prépare activement. C’est aussi de ce Québec dont il s’inspire, à sa manière, en poursuivant la célèbre chanson de Raymond Lévesque : « Serait-ce folie que de penser que les hommes vivent d’amour ? » Jofroi est un bien bel humain qui chante la difficulté grandissante d’être humain : accrochons-nous à son chant, faisons-le vivre, chantons-le à notre tour !
Michel KEMPER – Nos enchanteurs