liste
générale
des chansons

 

L'homme qui voulait peindre la mer

paroles et musique : JOFROI
voir tout l'album "Habiter la terre"
tous droits réservés © JOFROI

Je voudrais vous raconter l’histoire de l’homme qui voulait peindre la mer. Chaque matin, il partait. Des hommes l’attendaient sur le rivage. Il grimpait dans une longue barque à fond plat. Parfois, quelques élèves l’accompagnaient. Des curieux se pressaient sur le sable. A l’avant du bateau se dressait un chevalet. Une toile blanche y était posée. Alors, il donnait le signal du départ.

Deux hommes poussaient la barque pour franchir les premières vagues. Deux autres y sautaient et à grands coups de rames, l’éloignaient du rivage. La barque fendait les flots. Les curieux souriaient en voyant le tableau. Fragile esquif qui s’en allait… L’homme debout à l’avant du bateau, devant son chevalet, les élèves assis derrière, les rameurs à l’arrière.

Alors commençait le ballet. Dans les premiers roulis, la mer était plutôt grise. Passé les bancs de sable, elle devenait bleue. Dès les premiers hauts fonds, elle était d’un vert profond. Il stoppait les rameurs. Les élèves retenaient leur souffle. Il plongeait dans l’eau son large pinceau et remplissait la toile. Puis il lançait un ordre. L’embarcation repartait. Il venait d’apercevoir à bâbord une grande tâche de bleu outremer. Le bateau à l’arrêt, clapotis sur la coque, il trempait son pinceau et noyait le vert profond de bleu outremer.

Et ainsi, tout du jour, ils voguaient sur les vagues, de haute mer en calanques. La mer était changeante. La profondeur, la nature des fonds, rochers, sable, coraux faisaient varier de l’amarante au gris acier, du blond au turquoise. Mais la lumière était déterminante. Il suffisait que le ciel se couvre un peu pour sauter du vert amande au vert bouteille, du bleu canard au bleu sarcelle… Parfois, il n’était pas nécessaire de bouger, il suffisait d’attendre un peu. Le ciel et les nuages se chargeaient de tout. Il trempait son pinceau et rajoutait par petites touches ou plongeait une brosse et repeignait le tout.

La barque repartait. Il cherchait les couleurs, passait de l’améthyste à l’algue marine. Car, par-dessus tout, c’étaient les bleus qu’il affectionnait. Il bondissait de joie quand un rayon de soleil dévoilait quelques bandes d’indigo, de violet. Il rêvait d’apercevoir un bleu Majorelle, un lapis-lazuli. Le soir, au coucher du soleil, il saisissait parfois quelques reflets d’or ou d’argent, en ponctuait la toile. Les nuits de pleine lune, il attendait plus longtemps et terminait le tableau par un large et généreux bleu nuit. Chacun rentrait chez soi, les rameurs éreintés, les élèves éblouis. Il n’était pas content de lui.

Le lendemain matin, il revenait sur le rivage. Les hommes l’attendaient. Il montait dans la barque, allait au chevalet et regardait la toile. Elle était blanche, toute blanche comme l’écume des vagues. Il savait bien qu’un jour, il arriverait à peindre la mer. Alors il donnait le signal du départ…